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24/04/2024 - 11:42

"Valentin Feldman, un antifasciste convaincu"

Feldman%20dr <h3>Docteur en histoire, Pierre-Fr&eacute;d&eacute;ric Charpentier a consacr&eacute; une &eacute;tude compl&egrave;te et un ouvrage &agrave; la vie de Valentin Feldman, enseignant dieppois et r&eacute;sistant, fusill&eacute; en 1942 au Mont-Val&eacute;rien dont une rue et une &eacute;cole portent le nom &agrave; Janval. Dans le cadre de la Journ&eacute;e nationale de la R&eacute;sistance, il animera une conf&eacute;rence lundi 27 mai &agrave; 18 heures &agrave; l&#39;h&ocirc;tel de ville et sera accompagn&eacute; du s&eacute;nateur Pierre Ouzoulias, petit-fils du r&eacute;sistant communiste Albert Ouzoulias, qui interviendra sur Missak et M&eacute;lin&eacute;e Manouchian. Entretien.</h3> <p>&nbsp;</p> <p><strong>Qui &eacute;tait Valentin Feldman ?</strong></p> <p>Pierre-Fr&eacute;d&eacute;ric Charpentier : <em>&quot;C&#39;est quelqu&#39;un qu&#39;on a retenu pour ses derniers mots. Au moment d&#39;&ecirc;tre fusill&eacute; &agrave; l&#39;&eacute;t&eacute; 1942, au Mont-Val&eacute;rien, il lance &agrave; ses bourreaux&nbsp;: &laquo;&nbsp;Imb&eacute;ciles, c&#39;est pour vous que je meurs&nbsp;&raquo;. Une phrase absolument d&eacute;finitive. On n&#39;a retenu pendant tr&egrave;s longtemps que cette formule historique. Ca a &eacute;t&eacute; repris par beaucoup de gens comme Sartre, Eluard, Aragon ou plus tard Jean-Luc Godard et traduit dans de nombreuses langues. Jusqu&#39;&agrave; ce que je m&egrave;ne mes recherches, on ne connaissait &agrave; peu pr&egrave;s que cela de lui. La formule est claquante. C&#39;est une punchline comme on dirait aujourd&#39;hui. Sauf qu&#39;il n&#39;&eacute;tait pas sur un plateau t&eacute;l&eacute; mais devant des fusils.&quot;</em></p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>Son parcours est particuli&egrave;rement atypique&hellip;</strong></p> <p><em>&quot;Avant ces mots, il y a, en effet, 33 ans qui ont pr&eacute;c&eacute;d&eacute;. Valentin Feldman est un Fran&ccedil;ais exemplaire. Au sens o&ugrave; c&#39;est quelqu&#39;un qui est n&eacute; dans l&#39;Empire russe en 1909, originaire d&#39;une famille la&iuml;que&nbsp;plut&ocirc;t ais&eacute;e. Ce cadre familial et social va &ecirc;tre broy&eacute; par la Premi&egrave;re Guerre mondiale. Il &eacute;migre en France en 1922. Il s&#39;installe &agrave; Paris avec sa m&egrave;re. Il est &eacute;l&egrave;ve au prestigieux lyc&eacute;e Henri IV, qu&#39;il int&egrave;gre simplement parce qu&#39;il s&#39;agit de son lyc&eacute;e de secteur. Il s&#39;y lie d&#39;amiti&eacute; avec plusieurs personnes dont le futur porte-parole de la France Libre Maurice Schumann. En 1927, il triomphe au concours g&eacute;n&eacute;ral, le grand concours de la m&eacute;ritocratie r&eacute;publicaine. Ce jeune &eacute;tranger &mdash; il ne sera naturalis&eacute; qu&#39;en 1931 &mdash; remporte l&#39;&eacute;preuve de philosophie. Il m&egrave;ne ensuite des &eacute;tudes &agrave; la Sorbonne. Il c&ocirc;toie beaucoup de jeunes penseurs de l&#39;&eacute;poque comme L&eacute;vi-Strauss, Sartre, Beauvoir. Il est lui-m&ecirc;me tr&egrave;s dou&eacute;. Il est aussi tr&egrave;s sensible aux enjeux politiques de son temps. Il milite d&#39;abord &agrave; la SFIO puis soutient le Front Populaire, la R&eacute;publique espagnole, et d&eacute;cide en 1937 d&#39;adh&eacute;rer au Parti Communiste. C&#39;est un antifasciste convaincu. Il fait partie de ceux qui ont &eacute;t&eacute; avertis et tr&egrave;s clairs par rapport &agrave; la menace que repr&eacute;sentait le Nazisme. Il publie des textes et fait du militantisme, notamment &agrave; F&eacute;camp o&ugrave; il est en poste de 1937 &agrave; 1939. Quand la guerre est d&eacute;clar&eacute;e, il peut ne pas s&#39;engager car il a des probl&egrave;mes de sant&eacute;. Mais il souhaite tout de m&ecirc;me s&#39;engager. Il est pris et se retrouve &agrave; Rethel. Il vit la d&eacute;faite. Il se retrouve ensuite dans le Limousin. Il a &eacute;chapp&eacute; &agrave; la capture. Il s&#39;est conduit assez courageusement. Il a obtenu la Croix de guerre. A la rentr&eacute;e, il est nomm&eacute; au coll&egrave;ge de Dieppe.&quot;</em></p> <p><br /> <strong>Pourquoi son histoire m&eacute;rite-t-elle qu&#39;on s&#39;y attarde et qu&#39;on la fasse ainsi mieux conna&icirc;tre et reconna&icirc;tre ?</strong></p> <p><em>&quot;C&#39;est quelqu&#39;un qui r&eacute;siste tout de suite. A l&#39;&eacute;t&eacute; 1940, dans un texte assez po&eacute;tique, il se demande s&#39;il n&#39;est pas quitte avec la R&eacute;publique parce qu&#39;il s&#39;est bien battu. Il a &eacute;t&eacute; naturalis&eacute; depuis presqu&#39;une d&eacute;cennie. Il dit qu&#39;il se retire. Finalement quelques semaines apr&egrave;s, il replonge dans le bain avec les premi&egrave;res organisations clandestines communistes entre Paris, Rouen et Dieppe. D&egrave;s l&#39;automne 1940, il se retrouve dans les structures de l&#39;OS (Organisation Sp&eacute;ciale) du Parti communiste fran&ccedil;ais. Marie-Th&eacute;r&egrave;se Fainstein (r&eacute;sistante dieppoise) rapporte qu&#39;ils se sont dit&nbsp;&agrave; l&#39;&eacute;poque qu&#39;il fallait tout de suite faire quelque chose.&quot;</em></p> <p><br /> <strong>Que sait-on de ses activit&eacute;s quand il &eacute;tait &agrave; Dieppe, tant dans la vie civile que dans la R&eacute;sistance ?</strong></p> <p><em>&quot;Il est jeune professeur au coll&egrave;ge de Dieppe. Il a, parmi ses &eacute;l&egrave;ves, Pierre Billard futur c&eacute;l&egrave;bre journaliste, l&#39;un des cr&eacute;ateurs de l&#39;hebdomadaire Le Point d&eacute;c&eacute;d&eacute; il y a quelques ann&eacute;es qui dans un des ses derniers livres adresse un hommage tr&egrave;s appuy&eacute; &agrave; Valentin Feldman. Je l&#39;ai interrog&eacute; deux fois. Il en ressortait que Valentin Feldman se distinguait par une personnalit&eacute; exceptionnelle qui a marqu&eacute; les esprits. D&egrave;s l&#39;automne 1940, il y a un triple Valentin Feldman. Celui qui donne des cours de philo, celui qui est poursuivi par le statut des juifs&nbsp;et enfin celui de l&#39;action clandestine. Il assure des missions de liaison avec Rouen et surtout Paris. Il est probablement li&eacute; avec l&#39;&eacute;quipe de la Pens&eacute;e clandestine (une grande revue communiste anim&eacute;e par le philosophe Georges Politzer) qui sera diffus&eacute;e &agrave; Dieppe par Marie-Th&eacute;r&egrave;se Fainstein et Denise Meunier notamment. A Dieppe, il y a des r&eacute;sistants actifs comme les &eacute;poux Lemaire , Marcel K&eacute;r&eacute;lo ou Marie-Th&eacute;r&egrave;se Fainstein. On confie &agrave; Feldman la responsabilit&eacute; d&#39;assurer la feuille clandestine communiste r&eacute;sistante sur Dieppe (L&#39;Avenir Normand).&quot;</em></p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>Comment cela se termine-t-il&nbsp;?</strong></p> <p><em>&quot;Il est chass&eacute; de l&#39;enseignement et part &agrave; Luneray o&ugrave; il est autoris&eacute; &agrave; enseigner dans un cours priv&eacute;, ce que le statut des juifs n&#39;interdit pas. Le 2 d&eacute;cembre 1941, il part en clandestinit&eacute; &agrave; Rouen o&ugrave; il rejoint une grande r&eacute;sistante rouennais Madeleine Odru, l&#39;une des rares femmes chefs de r&eacute;seaux en France. Ils organisent ensemble le r&eacute;seau. Mais, lui n&#39;est pas op&eacute;rationnel et &ccedil;a le frustre beaucoup. Il est &agrave; la propagande et &agrave; l&#39;encadrement mais voudrait &ecirc;tre actif sur le terrain. Il participe &agrave; un attentat sur une vitrine d&#39;un photographe qui exposait des photos de soldats allemands. D&eacute;but f&eacute;vrier 1942, il participe au sabotage d&#39;une usine de D&eacute;ville-l&egrave;s-Rouen. Il est arr&ecirc;t&eacute;. Il est incarc&eacute;r&eacute; &agrave; la prison de Bonne-Nouvelle. Il est tortur&eacute;. Il est transf&eacute;r&eacute; en juin, &agrave; Paris, pour &ecirc;tre jug&eacute; par le tribunal nazi. Il est condamn&eacute; &agrave; mort. Il refuse de signer sa gr&acirc;ce. Il sait tr&egrave;s bien que c&#39;est une parodie de justice. Il va vivre encore une dizaine de jours. Il met ses affaires en ordre et il meurt tr&egrave;s courageusement. Ses fameux mots sont relat&eacute;s par l&#39;abb&eacute; allemand Franz Stock. C&#39;est quelqu&#39;un qui a accompagn&eacute; les r&eacute;sistants condamn&eacute;s &agrave; mort dans les derniers instants au Mont Val&eacute;rien. Il raconte qu&#39;il a eu dans les derniers jours des entretiens extr&ecirc;mement riches avec Valentin Feldman. Stock est admirable parce qu&#39;il est dans l&#39;organisation occupante. Mais il se d&eacute;marque par son humanit&eacute;. C&#39;est lui qui a rapport&eacute; ses mots.&quot;</em></p> <p><br /> <strong>Le maire de Dieppe a r&eacute;cemment eu cette formule : &quot;Valentin Feldman est un peu notre Missak Manouchian&nbsp;&raquo;. Qu&#39;est-ce qui les relie tous les deux ?</strong></p> <p><em>&quot;C&#39;est tout &agrave; fait juste. Si on regarde la chronologie, c&#39;est plut&ocirc;t Manouchian qui est le Feldman parisien parce que Feldman meurt deux ans plus t&ocirc;t. Les deux ont beaucoup de points communs. Ils sont tous les deux des immigr&eacute;s. Ils ont tous les deux b&eacute;n&eacute;fici&eacute; de la m&eacute;ritocratie r&eacute;publicaine et ont &eacute;norm&eacute;ment rendu &agrave; la France, jusqu&#39;&agrave; se sacrifier pour leur patrie d&#39;adoption. Ce sont deux r&eacute;sistants communistes qui ont &eacute;t&eacute; capables de lier des valeurs universelles, internationalistes, celles de la d&eacute;fense de la R&eacute;publique. Ils se sont expos&eacute;s, n&#39;ont pas eu peur du danger et accept&eacute; l&#39;id&eacute;e et la r&eacute;alit&eacute; du sacrifice ultime. C&#39;est particuli&egrave;rement bouleversant.&quot;</em></p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>&gt; La conf&eacute;rence sur Valentin Feldman et Missak Manouchian, anim&eacute;e &agrave; deux voix&nbsp;par Pierre-Fr&eacute;d&eacute;ric Charpentier et Pierre Ouzoulias, a lieu lundi 27 mai &agrave; 18 heures &agrave; l&#39;h&ocirc;tel de ville. Entr&eacute;e libre. Ce rendez-vous sera pr&eacute;c&eacute;d&eacute; d&#39;une comm&eacute;moration officielle &agrave; 17h30 au Monument aux Morts de Dieppe.</strong></p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>&gt; Pierre-Fr&eacute;d&eacute;ric Charpentier est &eacute;galement l&#39;auteur de l&#39;ouvrage <em>&laquo;&nbsp;Imb&eacute;ciles, c&rsquo;est pour vous que je meurs&nbsp;&raquo; - Valentin Feldman (1909-1942)</em>, publi&eacute; aux &eacute;ditions du CNRS et qu&#39;il d&eacute;dicacera &agrave; l&#39;issue de la conf&eacute;rence. Il est disponible &agrave; l&#39;emprunt au sein du r&eacute;seau des biblioth&egrave;ques de la Ville.</strong></p> <p>&nbsp;</p> <p>&copy; Photo : DR</p>

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