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26/01/2024 - 09:51

Marie-George Buffet : « Le patriarcat domine encore le mouvement sportif »

Actu%20web%20itw%20marie george%20buffet.001 <p><strong>Copr&eacute;sidente du Comit&eacute; national pour renforcer l&#39;&eacute;thique et la vie d&eacute;mocratique dans le sport Marie-George Buffet a remis, avec St&eacute;phane Diagana, le rapport <a href="https://www.sports.gouv.fr/sites/default/files/2023-12/rapport-annuel---pour-un-sport-plus-d-mocratique-plus-thique-et-plus-protecteur-8127.pdf">Pour un sport plus d&eacute;mocratique, plus &eacute;thique et plus protecteur</a> &agrave; la Ministre des Sports le 7 d&eacute;cembre dernier.&nbsp;Ce rapport&nbsp;est le fruit d&rsquo;une large consultation menée entre le début du mois d&rsquo;avril et la fin du mois d&rsquo;octobre 2023. Près de 170 personnes ou structures ont été entendues au cours de près de 70 entretiens. Il formule 37 recommandations et doit inspirer une loi-cadre en novembre prochain. L&#39;ancienne d&eacute;put&eacute;e de Seine-Saint-Denis (2002 &agrave; 2022) et ministre des Sports du gouvernement Jospin (1997-2002) tient une conf&eacute;rence le 18 mars &agrave; 18 heures &agrave; la Salle des congr&egrave;s, dans le cadre de Mars au f&eacute;minin. Interview exclusive.</strong></p> <p>&nbsp;</p> <p>&bull;&nbsp;<strong>Au moment de la remise du rapport, vous avez d&eacute;clar&eacute; dans la presse que le mouvement sportif fran&ccedil;ais &eacute;tait &laquo; fragilis&eacute; &raquo;. Pourquoi ?</strong></p> <p>Le mouvement sportif fran&ccedil;ais est fragilis&eacute; parce qu&#39;il y a une crise du b&eacute;n&eacute;volat qui touche le mouvement sportif comme le mouvement associatif en g&eacute;n&eacute;ral. Le b&eacute;n&eacute;volat est plus limit&eacute; dans la dur&eacute;e. On a donc un vieillissement des responsables. Il est fragilis&eacute; aussi par la marchandisation qui touche un certain nombre de pratiques, puis par l&#39;instrumentalisation politique ou g&eacute;opolitique. On voit comment aujourd&#39;hui certains &eacute;v&eacute;nements sportifs servent &agrave; faire rayonner des &Eacute;tats alors que souvent il n&#39;y a pas de pratique d&eacute;mocratique du sport parmi leur population. Le mouvement sportif fran&ccedil;ais est d&#39;autant plus fragilis&eacute; qu&#39;il n&#39;a pas une vie d&eacute;mocratique tr&egrave;s d&eacute;velopp&eacute;e au niveau de ses f&eacute;d&eacute;rations nationales. On a encore un syst&egrave;me qui est tr&egrave;s marqu&eacute; par le pr&eacute;sident et les hommes du pr&eacute;sident et on a du mal &agrave; avoir des d&eacute;bats au sein des f&eacute;d&eacute;rations. On a donc fait toute une s&eacute;rie de propositions pour changer le mod&egrave;le &eacute;lectoral et faire en sorte que les diff&eacute;rentes sensibilit&eacute;s soient repr&eacute;sent&eacute;es dans les instances et les directions. On veut favoriser la parit&eacute; dans ces instances.</p> <p>On a un mouvement sportif qui est aussi fragilis&eacute; parce qu&#39;il est en difficult&eacute; pour mener le combat &eacute;thique en son sein m&ecirc;me. On a encore un entre-soi, un discours sur la culture de telle ou telle f&eacute;d&eacute;ration qui justifie des actes qui ne sont pas admissibles aujourd&#39;hui. Le mouvement sportif a du mal &agrave; prendre en compte les demandes soci&eacute;tales de notre &eacute;poque. On le voit bien comment on banalise des atteintes sexistes ou sexuelles, comment on banalise des propos homophobes ou racistes. Quand je dis &ccedil;a, je rends hommage &agrave; tous les b&eacute;n&eacute;voles qui au quotidien agissent pour faire vivre leur club, pour accueillir les pratiquants et les pratiquantes, pour encadrer les enfants&hellip; Mais on a au sein du syst&egrave;me, notamment au sein des f&eacute;d&eacute;rations nationales et internationales, un blocage qui emp&ecirc;che le mouvement sportif d&#39;avoir une vie d&eacute;mocratique et de mener un combat &eacute;thique au niveau des exigences actuelles.</p> <p>&bull;&nbsp;<strong>Vous voulez aller plus loin dans la protection des pratiquant(e)s ?</strong></p> <p>Oui. Signal sport (NDLR : cellule d&#39;alerte des violences dans le sport lanc&eacute;e en 2020 par le minist&egrave;re des Sports) est une bonne initiative. Le probl&egrave;me est qu&#39;ils n&#39;ont pas les effectifs n&eacute;cessaires pour suivre et que c&#39;est tr&egrave;s peu connu. On a un probl&egrave;me de transparence, d&#39;information des acteurs et des actrices du mouvement sportif. La protection des pratiquants et des pratiquantes, on a deux propositions phare : la premi&egrave;re, c&#39;est que le CNOSF (NDLR : Comit&eacute; national olympique et sportif fran&ccedil;ais) prenne ses responsabilit&eacute;s par rapport au combat &eacute;thique, &agrave; la protection des pratiquants et des pratiquantes. La deuxi&egrave;me, c&#39;est la cr&eacute;ation d&#39;un comit&eacute; d&#39;&eacute;thique supra-f&eacute;d&eacute;ral, qui pourrait intervenir y compris dans des f&eacute;d&eacute;rations o&ugrave; le comit&eacute; d&#39;&eacute;thique serait endormi ou serait sur la mainmise de tel ou tel dirigeant. Nous pensons que pour les violences sexuelles, sexistes, c&#39;est trop difficile pour les victimes de parler &agrave; l&#39;int&eacute;rieur de leur famille sportive. C&#39;est comme les ph&eacute;nom&egrave;nes d&#39;inceste, quand c&#39;est dans votre famille, c&#39;est difficile de dire &ldquo;c&#39;est dans ma famille, c&#39;est lui, c&#39;est elle&rdquo;. Donc il faut donner, cr&eacute;er des structures qui soient d&eacute;tach&eacute;es de la famille, des comit&eacute;s d&#39;&eacute;thique ind&eacute;pendants, une agence ind&eacute;pendante pour que la parole se lib&egrave;re. Nous proposons comme nous l&#39;avons fait pour le dopage &agrave; une &eacute;poque qu&#39;il y ait une agence ind&eacute;pendante &agrave; la fois o&ugrave; les victimes puissent s&#39;adresser, &ecirc;tre accompagn&eacute;s, et o&ugrave; des sanctions puissent &ecirc;tre prises d&egrave;s que c&#39;est n&eacute;cessaire. Par exemple, d&eacute;porter de ses responsabilit&eacute;s un dirigeant qui s&#39;est mal comport&eacute;. Un entra&icirc;neur qui aujourd&#39;hui est sanctionn&eacute; par sa f&eacute;d&eacute; peut tout &agrave; fait aller travailler dans une autre f&eacute;d&eacute;, ce qui est incroyable !&nbsp;</p> <p>Il faut changer aussi les mentalit&eacute;s par rapport &agrave; la violence ordinaire, quand on porte atteinte &agrave; l&#39;int&eacute;grit&eacute; physique et psychique d&#39;un ou d&#39;une athl&egrave;te pour obtenir les r&eacute;sultats. Est-ce qu&#39;on pourrait regarder le sport comme quelque chose o&ugrave; parfois le record n&#39;est pas battu, la m&eacute;daille n&#39;est pas obtenue ? Ce qui est important, c&#39;est le plaisir des athl&egrave;tes, le bien-&ecirc;tre, le spectacle sportif, qu&#39;il soit beau. J&#39;esp&egrave;re que les Jzux olympiques de Paris (JOP) soit un rendez-vous magnifique o&ugrave; les athl&egrave;tes vont vivre quelque chose d&#39;extraordinaire. Je ne dis pas qu&#39;il faut absolument que la France ait 70, 80 m&eacute;dailles. C&#39;est pas &ccedil;a le probl&egrave;me. Arr&ecirc;tons de faire pression sur nos athl&egrave;tes et de justifier certaines m&eacute;thodes d&#39;entra&icirc;nement en &eacute;tant ax&eacute; uniquement sur les r&eacute;sultats.</p> <p>&bull;&nbsp;<strong>Le sport fran&ccedil;ais laisse-t-il de la place aux femmes ?</strong></p> <p>On a le m&ecirc;me ph&eacute;nom&egrave;ne qu&#39;en politique. Ce sont des mondes qui se sont construits au masculin pendant des d&eacute;cennies, voire des si&egrave;cles. La domination patriarcale est tr&egrave;s pr&eacute;sente dans le sport. &Ccedil;a joue sur les mentalit&eacute;s. On a encore l&#39;id&eacute;e encore aujourd&#39;hui, y compris chez les parents, par exemple, qu&#39;un gar&ccedil;on, il faut qu&#39;il fasse du sport, c&#39;est &eacute;vident. Alors qu&#39;une fille, si elle fait autre chose, ce n&#39;est pas grave. L&#39;id&eacute;e qu&#39;il y aurait des sports masculins et des sports f&eacute;minins, que la fille, si elle veut faire de la gymnastique, &ccedil;a va, mais si elle veut s&#39;inscrire en rugby, &ccedil;a devient probl&eacute;matique&hellip; M&ecirc;me si tout cela bouge, on n&#39;a encore que 39 % de licenci&eacute;s dans toutes nos f&eacute;d&eacute;rations qui sont de sexe f&eacute;minin. Et nous n&#39;avons aujourd&#39;hui que 4 femmes pr&eacute;sidentes de f&eacute;d&eacute;rations olympiques. Nous avons au sein du CNOSF encore aujourd&#39;hui dans son conseil d&#39;administration une participation des femmes moindre. Il existe toujours cette id&eacute;e que les femmes seraient moins comp&eacute;tentes, moins disponibles&hellip; Tout ce qu&#39;on a entendu lorsqu&#39;il y a eu les d&eacute;bats sur la parit&eacute; &agrave; l&#39;Assembl&eacute;e nationale, il y a plus de vingt ans. On nous avait expliqu&eacute; qu&#39;on ne trouverait pas des femmes suffisamment comp&eacute;tentes pour participer aux conseils municipaux, r&eacute;gionaux, d&eacute;partementaux. En fait, on les a parfaitement trouv&eacute;es. Mais quand vous regardez les conseils municipaux &agrave; parit&eacute; aux derni&egrave;res &eacute;lections des maires, 19 % seulement de femmes sont devenues maire, malgr&eacute; cette parit&eacute;. On voit bien qu&#39;il faut agir sur les mentalit&eacute;s pour faire bouger les choses. Dans nos recommandations, on propose la parit&eacute; dans toutes les instances, mais il faudra continuer &agrave; agir sur les mentalit&eacute;s. Je pense que le rajeunissement, le renouvellement des directions dans les ligues, les f&eacute;d&eacute;rations&hellip; devraient nous y aider. Encore faut-il que le b&eacute;n&eacute;volat soit attractif, c&#39;est pour &ccedil;a qu&#39;on fait toute une s&eacute;rie de propositions sur l&#39;indemnisation des dirigeant(e)s b&eacute;n&eacute;voles, sur des trimestres pour la retraite&hellip; Tout &ccedil;a pour donner envie &agrave; des g&eacute;n&eacute;rations plus jeunes de s&#39;inscrire dans un b&eacute;n&eacute;volat dans la dur&eacute;e.</p> <p>&bull;&nbsp;<strong>Est-ce que &ccedil;a a &eacute;volu&eacute; ?</strong></p> <p>Oui, gr&acirc;ce au combat des femmes et des hommes qui m&egrave;nent eux aussi ce combat f&eacute;ministe. On avait 18% de femmes aux JO de Mexico en 1968, on devrait en avoir 48 % aux JOP. Mais &ccedil;a &eacute;volue extr&ecirc;mement lentement. Un sondage r&eacute;cent commandit&eacute; par le Haut conseil &agrave; l&#39;&eacute;galit&eacute; entres les femmes et les hommes montre que chez les 24-34 ans, on voit r&eacute;appara&icirc;tre des comportements virilistes chez les 24-34 ans. Je l&#39;ai constat&eacute; en faisant des d&eacute;bats dans les lyc&eacute;es o&ugrave; des jeunes gens m&#39;ont expliqu&eacute; pourquoi il y avait des sports masculins, des sports f&eacute;minins, et qu&#39;il ne fallait pas m&eacute;langer les choses. Donc on voit bien que ce combat, il n&#39;est pas derri&egrave;re nous, il n&#39;est pas r&eacute;gl&eacute;. Il est vraiment d&#39;actualit&eacute; d&#39;autant plus qu&#39;il y a des pays aujourd&#39;hui qui y vont &agrave; reculons. Je suis tr&egrave;s proche des femmes afghanes et iraniennes, on voit comment les premi&egrave;res d&eacute;cisions des Talibans, &ccedil;a a &eacute;t&eacute; d&#39;interdire la pratique sportive aux femmes. Soyons vigilants !</p> <p>&bull;&nbsp;<strong>Les JO de Paris (JOP) vont-ils donner plus de visibilit&eacute; aux sportives ?</strong></p> <p>C&#39;est le plus des JOP. France t&eacute;l&eacute;visions va retransmettre l&#39;ensemble des &eacute;preuves. On va voir beaucoup de pratiques par les femmes de diff&eacute;rents sports, &ccedil;a va jouer. On a pu constater que la tr&egrave;s bonne retransmission du Tournoi des six nations f&eacute;minin de rugby l&#39;ann&eacute;e derri&egrave;re avec les bons r&eacute;sultats de l&#39;&Eacute;quipe de France a fait qu&#39;il y a eu plein de filles qui se sont inscrites dans des clubs de rugby. C&#39;est tr&egrave;s important parce qu&#39;aujourd&#39;hui les sports f&eacute;minins sont seize fois moins retransmis que les sports masculins &agrave; la t&eacute;l&eacute;vision en France ! Donc les JOP ont ce r&ocirc;le, d&#39;abord de faire d&eacute;couvrir des pratiques qu&#39;on ne voit jamais et puis des pratiques hommes, femmes. &Ccedil;a, c&#39;est bien. Le probl&egrave;me, c&#39;est apr&egrave;s, une fois qu&#39;on aura rang&eacute; la flamme olympique, si nos clubs n&#39;ont pas les moyens d&#39;accueillir les filles, les gar&ccedil;ons qui ont envie de s&#39;inscrire, , s&#39;il n&#39;y a pas les emplois qualifi&eacute;s qu&#39;il faut, s&#39;il n&#39;y a pas le budget qu&#39;il faut&hellip; Je propose que pour la prochaine olympiade, 2024-2028, on mette 1% du budget pour le sport par an, comme on l&#39;a fait &agrave; une &eacute;poque pour la culture afin de donner les moyens aux clubs d&#39;accueillir un nouveau public, des filles, des gar&ccedil;ons dans toutes les pratiques, avec plus de mixit&eacute;. J&#39;esp&egrave;re qu&#39;on va se saisir des JOP pour faire &ccedil;a.&nbsp;</p> <p>&bull;&nbsp;<strong>Quelle est la place aujourd&#39;hui du sport dans le d&eacute;bat politique ?</strong></p> <p>Il n&#39;y a jamais de grands d&eacute;bats publics, politiques sur les enjeux du d&eacute;veloppement du sport dans notre pays&hellip; Ces derni&egrave;res ann&eacute;es, on a eu beaucoup de ministres des sports, de secr&eacute;taires d&#39;&Eacute;tat aux sports qui ne sont pas rest&eacute;s longtemps en place. Il ne s&#39;agit pas de s&#39;y conna&icirc;tre, de mettre forc&eacute;ment des ministres qui soient d&#39;anciens athl&egrave;tes. On apprend &agrave; s&#39;y conna&icirc;tre. Moi, j&#39;ai appris &agrave; m&#39;y conna&icirc;tre. J&#39;ai consult&eacute;, j&#39;ai &eacute;cout&eacute;, j&#39;ai discut&eacute;. La question est d&#39;avoir une orientation politique, une volont&eacute; politique. Qu&#39;est-ce qu&#39;on veut faire du sport ? Est-ce qu&#39;on veut mener le combat &eacute;thique ou pas le mener ?&hellip; C&#39;est bien le probl&egrave;me que nous avons encore aujourd&#39;hui. Le minist&egrave;re des Sports a &eacute;t&eacute; plac&eacute; de nouveau sous la tutelle de l&#39;&Eacute;ducation nationale. Il n&#39;a plus les moyens de jouer ce r&ocirc;le &agrave; la fois d&#39;impulsion et de contr&ocirc;le du mouvement sportif. Il est compl&egrave;tement affaibli.</p> <p>&nbsp;</p> <p>&bull;<strong>Pourquoi avoir accept&eacute; de participer &agrave;&nbsp;</strong><em><strong>Mars au f&eacute;minin</strong></em><strong>&nbsp;?</strong></p> <p>Parce que c&#39;est mon engagement f&eacute;ministe, mon engagement pour la place des femmes dans le sport, pour le droit &agrave; la pratique sportive des filles et des femmes. J&#39;ai cr&eacute;&eacute; une association Femmes ici-l&agrave; bas, qui a pour objectif justement cette pleine et libre pratique du sport partout, en France et ailleurs. Le sport, c&#39;est le bien-&ecirc;tre, le lien social. Je pense que c&#39;est comme la culture, le sport doit &ecirc;tre l&#39;objet de beaux d&eacute;bats. La Ville de Dieppe y participe et je suis contente d&#39;en &ecirc;tre !</p> <p><strong>Propos recueillis par Pierre Leduc</strong></p> <p><em><strong>&copy; Photo D. Allard - AFP</strong></em></p>

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