05/04/2019 - 14:47
Claire Guéville : « Le lycée du chacun pour soi »
<h3>Enseignante au lycée Neruda et responsable nationale des lycées au syndicat Snes-FSU, Claire Guéville combat la réforme du lycée et du bac. Elle en démontre les effets pervers. Entretien.</h3>
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<p><strong>Cette réforme modifie en profondeur l'enseignement proposé en lycée mais aussi le processus d'orientation des élèves, jugé par le ministre de l'Education nationale trop complexe et inadapté. Qu'est-ce qui se cache réellement derrière ce projet ?</strong></p>
<p><strong>Claire Guéville :</strong> Cette réforme est allé très vite, trop vite. Nous avons eu une première rencontre il y a un an avec le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer. L'objectif annoncé était d'en finir avec le système des séries qui, même s'il n'est pas parfait a au moins le mérite de la clarté, pour proposer un système de formations à la carte. Sous cette ambition de moderniser, nous nous sommes aperçus que cette réforme allait être baclée, qu'alors que le ministre était présenté comme un expert, il agissait dans l'improvisation totale. En revanche, le projet, lui, est bien défini. Toutes les réformes de l'éducations sont solidaires et cohérentes. Au sens où après avoir procédé à la réforme de l'enseignement supérieur avec Parcoursup, on allait généraliser la sélection par le profil. La bac actuel ne permet pas d'établir un profil car il se base sur un socle de compétences générales. En réduisant la part de l'enseignement général, les mathématiques disparaitraient par exemple du tronc commun, on veut cantonner les élèves à la praparation la plus adéquate au marché du travail. On va trier les élèves entre ceux qui vont aller sur la marché du travail via l'apprentissage et ceux qui pourront continuer leur formation. Les plus fragilisés au plan social vont être évincés.</p>
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<p><strong>Pourtant on promet davantage de liberté aux lycéens dans la construction de leur parcours…</strong></p>
<p><strong>Claire Guéville : </strong>C'est un leurre. Il s'agit d'une fausse liberté. D'abord parce qu'on va demander à des élèves de 15 ans de choisir des spécialités. Ils vont devoir le faire en ignorant totalement les attendus de l'enseignement supérieur. Ils vont devoir le faire sans accompagnement. Ils vont devoir le faire en sachant que s'ils se trompent, il leur sera difficile de changer de trajectoire. L'offre de formation va être éclatée façon puzzle. A charge de l'élève de reconstituer l'image seul.</p>
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<p><strong>L'égalité d'accès aux formations supérieures semble être remise en cause si on vous suit bien.</strong></p>
<p><strong>Claire Guéville : </strong>Complètement. Il n'y aura pas toutes les spécialités partout (il y en aurait huit au lycée Ango et quatre au lycée Neruda). Cela veut dire qu'il faut être né dans le bon secteur géographique et dans la bonne famille. Celle qui vous a donné les codes et sera en capacité de vous accompagner dans les choix. C'est un système très discriminant. Nous nous dirigeons à grand pas vers le lycée du chacun pour soi. Ce système ultralibéral à l'anglaise qui mélange indifférement enseignement public et privé n'est pas transposable en France. Il y a une volonté politique de fermer la porte de l'ascenseur social.</p>
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<p><strong>Vous pensez qu'un élève ne pourra pas choisir les spécialités de son choix ?</strong></p>
<p><strong>Claire Guéville : </strong>Les places vont être chères. Il devra choisir parmi les spécialités disponibles proposées dans son établissement de rattachement. En fonction du nombre de places, il n'est pas sûr d'obtenir ses premiers choix. Un élève de Neruda qui voudrait par exemple, par rapport à son projet, prendre la spécialité science et vie de la terre, devra postuler à Ango. Il ne sera pas prioritaire. Alors, soit il devra choisir une autre spécialisation soit il devra se tourner vers les cours par correspondance.</p>
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<p><strong>A travers cette réforme du lycée, il y a aussi la réforme du baccalaurat que le ministre de l'Education nationale souhaite simplifier. Est-on bien sur cette voie ?</strong></p>
<p><strong>Claire Guéville : </strong>Absolument pas. Il y aura beaucoup plus d'épreuves d'une part. Et d'autre part, une grande majorité des sujets ne seront plus nationaux mais proposés par les enseignants des établissements. Cela signifie un bac local indexé sur la réputation du lycée.</p>
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<p><strong>Plus de mathématiques dans le tronc commun, dites-vous. C'est problématique ?</strong></p>
<p><strong>Claire Guéville : </strong>C'est une discrimination de plus car il faudra absolument se spécialiser et il n'y aura pas de place pour tout le monde. Quand on sait que 80 % des formations post-bac exigent les maths, on vois bien le choix d'écarter massivement les élèves des études supérieures. D'ailleurs, les sciences humaines et les langues à l'exception de l'anglais, à l'inverse, figurent peu dans les attendus des de l'enseignement supérieur. Ces formations risquent de devenir les parents pauvres au lycée.</p>
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<p><strong>Le calendrier est serré. Dès la rentrée prochaine, la réforme devrait concerner les classes de seconde et de première. Puis, l'année suivante, les classes de terminales. Faut-il se résigner ?</strong></p>
<p><strong>Claire Guéville : </strong>Certainement pas. Nous allons nous battre. Ils n'y arriveront pas à faire passer une telle réforme. La communauté éducative va descendre dans la rue parce que ces menaces d'inégalités renforcées sont insupportables. Ce qui se passe est insupportable.</p>
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<p><em><strong>Retrouvez notre sujet publié dans l'édition d'avril 2019 dans les colonnes de Journal de bord.</strong></em></p>
<p><strong>© Photo : Erwan Lesné</strong></p>
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